Lutte avec l'insomnie par philippe lhardy

CHAPITRE 9


LE DERNIER TESTAMENT DU LIVRE


Enfin, la fin. Je ne laisse pas la narration à ce cher Serge, qui en a profité abusivement, je remets les choses dans un ordre qu'elles n'auraient jamais dû quitter. Cet ordre je l'ai malmené avec plaisir durant un certain temps, je constate que je suis finalement quelqu'un de conformiste. Pourquoi ? Parce que cet écrit mis à part, rien ne me distingue de n'importe quel autre étudiant, si ce n'est mon aptitude à la fumisterie et à la flemmardise qui excède largement les seuils tolérés. Et j'en suis fier ? Non, pas particulièrement. Mais ceci est une toute autre histoire...

Pour tenir le coup j'ai ingurgité un sachet d'énergitophème.

Serge croit avoir définitivement séduit Gaëlle, il se laisse aller à son caractère qui devient souvent insupportable. En fait, dés que Gaëlle va s'apercevoir que Serge peut très bien s'en sortir seul, elle va le laisser. Gaëlle a fait preuve de don de soi, pour soutenir Serge dans une épreuve difficile, maintenant que la tempête est calmée, elle s'est fait une idée très précise de ce que serait la vie en couple avec son copain : un enfer. Je sais ce que vous pensez, que je me venge de ce qu'à pu raconter monsieur Gros auparavant ? Serge va en souffrir ? Certainement pas car Sophie remplace quasi instantanément Gaëlle. L'auriez-vous cru ? Evidemment, je l'avais déjà habilement suggéré. Un mariage couronnera cette tentative avec succès. C'est bien la preuve que la vie serpente autours de plusieurs réalités.

J'ai bien peur que les effets de l'energitophème ne soient ceux auxquels je m'attendais.

Et Gaëlle, que devient Gaëlle dans l'histoire ? Rien, elle disparaît, d'ailleurs elle n'a jamais existé, elle est pur produit de mon imagination. Gaëlle, et les autres disparaissent lentement dans les brumes matinales d'une fumée de cigarette tenue par des lèvres soigneusement soulignées avec un rouge vif. En fait, Gaëlle me revient, elle m'appartient si j'ose dire, je peux enfin discuter avec quelqu'un qui a du répondant et parler sans ambages de ma façon d'entrevoir votre monde.

Vous angoissez de fermer ce livre sans avoir eu le fin mot de l'histoire et vous avez raison.

Le fin mot... s'il pouvait y avoir une fin à la Vie. La vie des autres remplace celle des uns et l'histoire jamais n'a de fin.

Cette fin, je me l'offre, je me la dédie. Elle est le testament des autres pages

Je ne peux garder le yeux rivés sur la réalité alors qu'-elle- n'est plus qu'un rêve. Ce livre en fait est le condensé de toutes les autres lettres que j'aurais pu écrire à une Christelle ou bien à une Stéphanie et qui sont restés au fond de mon esprit trouble sans jamais être oblitérées par le tampon fermement appliqué sous la pression de la main d'un postier. Je ne peux m'arrêter d'écrire puisque ces lettres remplissent mon esprit sans jamais vouloir se dévider. Comme le disait si justement Serge, ce livre est une immense petite annonce, une publicité. Comme si, à chaque phrase, je tentais de prouver que je suis capable de traduire des pensées dans une teinte juste et réaliste, même si la fiction devient irréaliste. Devenir écrivain sans ce côté scribouillard et marchandeur que l'on peut sentir dans la définition que j'ai attribué à Serge, et être aimé pour cela puisqu'écrire est une partie de moi. Ce livre aussi détourne afin votre attention de mon physique commun et ceci, que vous soyez un homme où une femme. Plus que de m'aimer, déjà, vous me considérez comme un homme. Enfin j'existe.

Le produit me brûle l'estomac, je sens mes mains se crisper sur mon clavier.

Vous qui me connaissez, vous ne vous attendez pas à ce qui va suivre. Ce livre marque simplement mon impuissance à donner actuellement un sens à ma vie. Si je vis, c'est uniquement par faiblesse, par peur de la souffrance. Je hais ma réalité, ce que le passé, le présent, (le futur) a fait de moi. Mes jours annoncent ces longues nuits de sommeil durant lesquelles j'existe par moi-même. Bénissez simplement mes parents de m'avoir donné une éducation moraliste, qui tienne compte des autres. Seule mon éducation me retient de faire le mal, de manipuler mes amis et de torturer mes ennemis. Et c'est un enfer véritable de vivre avec des soucis qui m'empêchent de rêver. Je vis pour rêver. Peut-être pourrais-je enfin un jour vivre pour quelqu'un si seulement ce quelqu'un voulait vivre pour moi. L'argent, la célébrité, le pouvoir s'avèrent ridiculement faibles face à l'amour.

D'autres jeunes se demandent où vont les mener leurs études, combien leur rapportera leur prochain métier, s'ils hériteront de leurs grands-parents ou bien quels loisirs ils vont bien pouvoir faire. Je me demande seulement combien de temps je vais encore tenir, ne comprenant pas pourquoi j'attends de rencontrer quelqu'un qui pense comme moi. Comment expliquer à vous tous mon dégoût pour cette vie. La philosophie mène à la morosité ? Je ne sais pas grand chose, ni même ce qui me pousse à vivre. Je suis une brebis égarée dans une clairière obscure. Je vois parfois les dents du loup briller derrière un vieux chêne presque effeuillé. Parfois je rêve que l'infirmité m'atteigne, que la bêtise me heurte, d'avoir enfin de bonne raisons de me plaindre de mon existence. Voilà un passage qui vous donnera envie d'appuyer sur la gâchette du Smith et Wesson que vous avez volé dans l'armurerie personnelle de Malcom, orifice béant s'appuyant sur votre tempe, prêt à cracher son venin mortel. Seulement voilà, par sécurité, je ne l'ai pas laissé chargé. Pour en revenir au sujet, le début de la vie qui doit en contenir le but, m'apparaît vide ou bien inaccessible. Ce gouffre intellectuel, cette immensité du néant provient de ma toute première jeunesse, jamais je n'ai quitté cette idée que je n'étais pas comme vous et qu'on ne jouait pas le même jeu.

Il faut que je finisse, même si je dois en crever.

Si un soir de profonde fatigue mon sommeil s'écoulait dans un rêve d'éternité, mon voeu le plus cher aurait enfin été exaucé. Me voilà donc, monstre d'égocentrisme dégoûté par la fadeur de la réalité. Ce cerveau que les professeurs glorifient lorsqu'il est bien connecté, ce cerveau dont sont si fier les scientifiques et les intellectuels, ce cerveau me fait souffrir de ne vouloir arrêter de penser. Il cherche de lui même, il veut me montrer une réalité que je refuse obstinément de voir. Comment vivre en sachant qu'il n'y a pas de but ? Qu'aussi grand soit notre destin, il y une fin. Que nous sommes responsable de notre futur et qu'enfin aucune instance supérieure ne calcule ni ne comptabilise nos bonnes actions. Cette pensée meurtrie ma vision de la vie.

Mais ne nous laissons pas coller à cette monstrueuse langue gluante de la réflexion sur elle-même. Cette réflexion itérative amène à un non-sens. La bassesse de la vie terrestre est en fait beaucoup plus constructive, si elle ne donne pas véritablement un sens à la vie, elle donne un sens au corps et à l'esprit. Nous sommes construits pour travailler, pour produire, que ce soit avec nos mains ou avec notre cerveau. En tout cas, il faut profiter de la vie comme elle vient, en tentant d'éviter ses pièges et sans écraser intentionnellement les badauds prenant le même chemin.

Plus ma pensée construit une image cohérente de la réalité humaine, plus elle se rapproche de l'obligation de stopper sa recherche. La réponse que j'ai obtenue ne doit pas être à mon échelle, elle doit nécessiter plus de hauteur et de détachement. Cette recherche n'est pas sans me rappeler les mathématiques fractales, qui font apparaître à la loupe les même motifs qu'à la taille réelle. La recherche de la vie est identique, elle aboutit toujours aux même questions quelle que soit la profondeur de la réflexion. Même le dernier des abrutis, celui qui ne reconnait pas la différence entre un chien et un train électrique a, une fraction de seconde, réalisé que son univers le dépassait.

Je me sens défaillir. Mère, Père, Frère, Soeur, Amis, si vous me trouvez mort demain sur le clavier de mon ordinateur, s'il vous plaît, publiez mon livre...

Le 19 Février 1994 s'est éteint monsieur Philippe Lhardy, il avait tout juste vingt trois ans.

A un ami, qui m'a donné beaucoup de lui-même.

Serge GROS.