Lutte avec l'insomnie par philippe lhardy

CHAPITRE 7BIS


LA HAINE


Puisque j'ai pris plaisir à prendre la narration depuis un certain temps, je la cède à Stéphane, sans bien sûr le prévenir qu'il se retrouve dans mon livre. A toi, Stéphane, raconte-moi les histoires comme tu sais si bien le faire.

" Je préviens d'avance toutes les personnes sensibles... Stéphane ne fait jamais dans la dentelle..."

En fin de matinée, c'est toujours avec engouement que j'ouvre ma boîte aux lettres.

Ai-je enfin gagné une 205 Gti en renvoyant le coupon réponse du jeu des Boucheries Sanzot ?

Ma petite amie a-t'elle enfin appris à écrire ?

Ai-je hérité d'une veille tante germaine ?

Y-a t'il une erreur de la banque en ma faveur ?

Hélas dés que je feuillette les arrivées, déception. Quasiment toutes les lettres sont pour mes parents. Inutiles, donc. Parfois, une publicité pour un gel magique, qui élimine miraculeusement les boutons d'acné. Tiens un renouvellement d'abonnement... Pas d'erreur de la banque mais tout le temps des "Ne passez pas par la case départ et ne touchez pas 20.000 ".

Alors j'ai décidé de ne plus me laisser faire. Le facteur ne passera pas par moi... Je hais le facteur, c'est de sa faute, les bonnes lettres il les garde, pas fou. Il doit en avoir des centaines des 205 Gti, et des bracelets en or 18 carats... Tout ça, c'est de la faute au facteur. Je le soupçonne même parfois de rajouter des zéro dans la colonne Débit de mon compte chèque... D'ailleurs il n'y a pas à s'y tromper, mon chien l'a compris tout de suite... Dés que le facteur s'approche, mon chien me rapporte un morceau de son pantalon. Il n'y a pas de raison. Tel chien, tel maître... Je déteste les facteurs.

Puis je décide enfin de m'y mettre. M'y mettre à quoi ? A étudier, bien sûr. Mon étude la plus approfondie porte sur l'impact des moyens unilatéraux de communication en milieu habité. J'allume donc la télé. - Par pure envie éducative évidemment. -

On commence par TF1, c'est la première touche de la télécommande, en haut à gauche. Dorothée s'allume un cône alors que deux gladiateurs nus s'étripent derrière elle. J'zappe sur A2 : Feuilleton. Au fait Henri a t'il consciemment oublié de fermer la porte des toilettes ? Y a t'il mieux sur FR3 ? Ils diffusent la Sept : Oeuvre tournée en Super 8 sous titrée en japonais moderne et déclamée sur une musique de Brahms en gaëlique ancien. Bon et bien le câble peut-être ? Juste bon à faire des noeuds. Je laisse allumé, ça fera toujours une musique de fond. Il y a MTV, c'est mieux que la radio, ça éclaire aussi.

Me voyant sans activité, je sors le cahier de mathématiques. L'exercice me parait vraiment trop long. Je demanderais à Gaëlle. J'aurais peut-être du mal à avoir la réponse, depuis qu'elle est avec Serge, inutile de tenter de lui faire les yeux doux.

Y'a d'autres exercices... Le français, il faut tenter d'élaborer un plan. Attends, tu vas voir... Alors le sujet c'est " La nature est-elle perfectible ". Voyons... C'est simple... Première partie " La nature est perfectible ", seconde partie " Personne ne peut refaire la nature " et puisqu'il faut une troisième partie... euh voyons... " L'homme et la nature ". Parfait. Si ça ne lui convient pas tant pis. Je ne vais pas passer une heure la-dessus.

Ma mère m'appelle. On bouffe. C'est dégueulasse. Comme d'habitude. C'est à se demander où ma mère a appris à cuisiner ! Quand je le lui dis, elle me sort "Tu n'as qu'a le faire à ma place !". Jamais ! C'est un atavisme dans la famille, on ne sait pas cuisiner de mère en fils... Je n'ai pas envie de mourir empoisonné. " Si tu n'es pas content tu n'as qu'à te faire inviter..."

Zut c'est vrai, j'ai un rencard... Je devais me faire un gueuleton chez Mac Donald's. Il n'est peut-être pas trop tard en se pressant. "Je ne mange pas ici, je suis invité". Quoi j'aurais pu le dire plus tôt ! Quoi ! Je fais ce que je veux moi, je suis presque majeur. Non mais, ces parents, ils croient qu'ils nous ont élevés... En fait c'est à nous de les dresser !

En prenant le Bus, je me fais Gauler par un contrôleur ! La haine. Ca fait un an que je prends le bus sans ticket, et c'est aujourd'hui que je me fais prendre ! il n'aurait pas pu contrôler demain... Le Dimanche, je ne prends jamais le Bus... Il devait m'attendre, je le soupçonne de me surveiller sadiquement pour me prendre le jour où c'est le plus embêtant. Enfin, rien à cirer, je ne la paierai pas cette amende... Tous des enfoirés. En plus il me largue sur la chaussée. Bon il va falloir faire du Stop.

Pourquoi elles ne se sont pas arrêtés, la blonde était vraiment superbe... J'aurais bien fait un brin de causette. Je suis peut-être pas assez clean... Tiens, je vais me recoiffer, ça va peut-être marcher mieux.

Ah non ! je veux bien faire du Stop, mais jamais monter dans une poubelle pareille, une Deuche rapiécée, de quoi j'aurais l'air, la-dedans ! " C'est dommage, je serais bien monté avec vous, mais je vais de l'autre côté... Quoi vous pouvez faire un détour ? Non, il faut pas, vous êtes trop gentil...".

Qu'est-ce qu'elle fait comme bruit ! On avance pas la dedans. Je ne serais jamais à l'heure pour mon rencard. Je mets mes lunettes de soleil, il ne faut pas qu'on me reconnaisse.

- "Je ne vous connais pas, vous êtes de la famille Brouhi pourtant !"

Ah... non pas ça !!! Encore quelqu'un qui a du bien à dire de ces emmerdeurs... Vraiment c'est pas mon jour. D'ailleurs ce n'est jamais mon jour.

Enfin ! On n'y est. "Deposez-moi ici... Non pas la peine... Je ferais le reste à pieds ! Merci infiniment !". J'ai eu peur qu'il me casse mon rencard ce connard... Me déposer devant ma nana en 2CV, vraiment, faut pas avoir d'amour propre. Je soupçonne même cet aimable chauffeur d'avoir intentionnellement voulu foutre mon beau plan en l'air. Tous des enfoirés.

On y est, le plan a été monté astucieusement. C'est Max qui m'a dit que Nathalie était folle de moi. Y'a pas à se crever, c'est dans la poche. Je me souviens, elle est pas mal Nathalie, j'ai dansé avec elle en boîte, elle est pas mal... pour les slows.

Ah, voilà Max, avec une de ses copines. Nathalie ne doit pas être encore arrivée. Quel gros tas sa copine, mal fringuée, elle a un cul énorme... " Salut, Max, alors ?" " Nathalie ! "

Arghhh... Il faisait vraiment noir dans cette boîte, pitié, Max ne me dit pas que c'est Ma Nathalie, celle qui en bave pour moi, pitié... " Vous savez, je suis assez pressé... Quoi, un cinéma ? C'est que ça tombe mal je suis à sec en ce moment !"

Ehéh pas con le mec, ça c'est l'excuse qui marche... "Comment, tu veux me l'offrir ? Tu te sens bien Max ?". Si j'avais su que c'était ça Nathalie, je serais arrivé direct avec la 2CV.

De toute façon, la journée est foutue. Elle est moche, d'accord, mais peut-être qu'elle est bonne au lit ? On ne perd rien à essayer. " Le romantisme ? Oui enfin, le romantisme, c'est pas tout..." (...) " Quoi, moi, un vicelard ! Tu ne t'es pas regardée, c'est toi qui a commencé. Quoi ? Moi, moche, nul ? Dit, faut croire que tu ne m'as pas encore choisi assez moche, il faudrait un monstre et encore, un aveugle, peut-être pour t'approcher... Tu aurait du profiter de l'occasion en boîte. Avec les spots, tu avais l'air plus humaine." C'est vrai quoi, je ne vais pas me laisser insulter par une gonze qui ne sait rien faire d'autre que des petits ballons avec les capotes.

Bon on rentre à la maison. En bus évidement. Avec ma chance, ce vicelard de contrôleur va m'attendre. Eh vous, là, qui lisez... Vous êtes content.. Bande de voyeurs. Tiens je vais me fumer un petit cône pour oublier tout ça. Vous, vous avez une mauvaise idée derrière la tête. Je vous soupçonne d'être des sales branques. Vous n'allez pas me dénoncer hein...

- " Ouvre la fenêtre quand tu fûmes... On sent l'odeur du cigare jusqu'ici. On le sait que tu fûmes c'est pas la peine de te cacher." -

Vlan, du classique. Qu'est-ce que je vais répondre... La vérité bien sûr...

" C'est pas un cigare, c'est du hachisch !" -

- " Et tu te crois drôle ? Ouvre quand même la fenêtre "

" Tu perds le sens de la plaisanterie ma pauvre mère..."

...T'es franchement conne, ma pauvre mère....

Ouais, je plane. Dommage que la fenêtre soit trop petite les papillons ne peuvent pas rentrer. Eh, Nathalie, tu l'as vu ton cul. Ton popotin en proportion de ton corps c'est comme la géode en comparaison d'une baraque de chantier... Moi moche, moi a qui Estelle, qui est une référence, a dit que je suis beau comme un Dieu ! Je m'abaissais à te proposer un peu d'amusement... ça doit pas être souvent que t'en as de l'amusement... Vu ta gueule.

- " Stéphane, tu peux baisser la musique ?" -

Quoi, quelle musique ? Ah ouais, j'ai laissé le poste allumé. Zut ça tangue sec la dedans...

Le repas déjà ! J'ai à peine digéré mon Big Mac...

J'ai pas faim.

" Nous avons à te parler... tes notes... résultats déplorables... annotations du professeur de... baisse... laisser aller... la moyenne... tes petits camarades... "

Toujours la même rengaine. Après ça ils s'étonnent que je prenne des médicaments pour accélérer mon transit intestinal !

Et vous, à mon âge ?

" ...Bons élèves... surtout ton père...."

De toute façon les profs ils m'en veulent, ils m'ont pris en grippe, ils sont injustes et je les attends au tournant.

" Enfin... Capacité... Enfant normal... Education sévère...."

Voyant la gueule des géniteurs, je m'étonne même de ma normalité, j'ai bénéficié d'un coup de baguette magique de la fée carabosse, sans aucun doute !

" fait attention... restrictions... interdictions... sanctions... "

Vraiment, des vrais perroquets ces parents, des moulins à sornettes. Tiens, si je me bouche les oreilles, ils ont l'air de deux poissons pas frais qui tentent de réanimer une carpe asphyxiée.

Ah la télé, chic y'a de la politique, mes parents vont encore se foutre sur la gueule. Ma mère est fermement centriste et mon père vire sur l'extrême droite, ça va chauffer ! Pendant ce temps-là j'aurai un peu de tranquillité, ça tombe bien, j'avais besoin d'un petit moment pour jeter un autre coup d'oeil sur mon devoir de math. Et puis non, je préfère raconter ma journée, c'est plus amusant !

" Enfin seuls et bien... Pas mécontent que cela soit fini".

Zut, c'est fini, je me suis pourtant bien amusé ! Ah ! Ce Stéphane... Quelle tête de con ! On l'aime tous pour ça, avec lui, il n'y a pas de complexes à avoir, de toute façon si tu es un mec, il n'en a "rien à cirer de ta gueule" (sic).

" Le problème est que maintenant il faut se taper le discours de Serge. Et bien j'espère que ce chapitre vous a donné de la vitesse... Parce que vous allez être rudement ralenti au chapitre 8 "

Pour conclure j'ai prouvé qu'il y avait un lien étroit entre vous et ce livre. Cette intime cohésion n'est en fait qu'un effet de style, une manipulation littéraire de plus.

" Mais plus que de manipuler les idées, méfiez-vous qu'il ne tente de vous manipuler, vous, en tant qu'individu. Avec des idées fortes, abscons de nuances et de subtilités, on aboutit souvent à une vision tranchante et très séduisante, puisque simple, de l'humanité. Ce genre de philosophie à l'emporte pièce qui dénie à toute autre pensée le droit de véracité mène à l'isolement de l'esprit. Le chapitre qui suit n'est qu'une superposition d'idées fortes et très souvent limités. J'en laisse à Serge l'entière responsabilité ".

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